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Zuimonki

Chaque jour après le rituel du matin (zazen, cérémonie et genmai), nous lisons un passage du Zuimonki de Maître Dōgen. Il s'agit d'une compilation d'enseignements, conseils et encouragements, donnés par Maître Dōgen dans son temple près de de Kyōtō. Ces enseignements, fidèlement retranscrits par son disciple Koun Ejō, s'adressent aussi bien à des moines qu'à des laïcs.

En voici quelques extraits :

Un jour, maître Dōgen a expliqué :

Apprentis de l’Éveil, quand vous êtes débutants lisez et étudiez bien les sutras, les textes sacrés, etc. Et cela, que vous ayez ou non l’aspiration à l’Éveil.

         Pour ma part, j’ai commencé à donner quelque peu libre court à mon aspiration à l’Éveil précisément à cause de l’impermanence. J’ai rendu visite à des maîtres dans toutes les directions. Puis j’ai fini par quitter le monastère où je me trouvais, et je suis allé demeurer temporairement au Kenninji pour m’exercer dans l’apprentissage de l’Éveil. Durant cette période, j’errais dans les illusions et je donnais naissance à de mauvaises pensées parce que je n’avais pas d’ami spirituel dévoué faute d’avoir rencontré un maître authentique. Les maîtres religieux m’ont d’abord appris à être aussi érudit que les savants du passé et à essayer de devenir célèbre dans le monde en me faisant connaître dans tous le pays. Donc, dans le cadre de ces études doctrinales et poussé par l’intention première de devenir dans notre pays l’égal des sages du passé et de ressembler aux grand maîtres, j’ai ouvert les Biographies des grands moines, la Suite des biographies des grands moines, et d’autres livres. A la lecture des exemples de ces grands moines et bouddhistes de Chine, j’ai constaté que ce que je lisais ne ressemblait pas du tout à ce qu’enseignaient les maîtres d’aujourd’hui.

         J’ai réalisé, non sans difficulté, que cet esprit que j’avais développé était considéré avec répugnance et comme détestable dans tous les sutras, commentaires et analectes de la transmission, etc. Il m’est alors enfin apparu évident que, puisque c’était la vérité que je cherchais – même si je pensais aussi à la célébrité – c’était devant les sages de l’Antiquité et les personnes de bien de l’avenir qu’il fallait me faire humble, au lieu de m’efforcer d’être bien considéré par mes contemporains vulgaires. Et que même si je voulais égaler quelqu’un, c’était devant les grands sages et les grands moines qui nous ont précédés en Inde et en Chine plutôt que mes concitoyens qu’il me fallait me faire humble. C’était eux que je devais égaler. De toute façon, il me fallait me faire humble devant les êtres célestes cachés, les bouddhas et les bodhisattvas, etc., et surtout aspirer à les égaler. Dès lors, après avoir pénétré cette vérité, j’ai changé de comportement et de mentalité en comprenant que les prétendus « Grands maître » et autres enseignants de notre pays étaient comme des tuiles de terre.

         Regardons la conduite du Bouddha pendant sa vie. On peut voir qu’il a renoncé à sa position royale pour entrer dans les forêts de la montagne et qu’il a mendié toute sa vie, même après avoir appréhendé l’Éveil dont il avait fait l’apprentissage. Dans les Règles de discipline, il est dit : « Sachant que sa maison n’est pas sa maison ; il la rejette et en part. » Un ancien a dit : « N’espérez pas être l’égal des grands sages en vous vantant, n’espérez pas être l’égal des humbles en vous avilissant. » Dans les deux cas, c’est être prétentieux. Si vous êtes en position élevée, n’oubliez pas que vous pourriez en descendre ; et si vous êtes satisfait, n’oubliez pas que vous pourriez être en danger. Même si vous êtes en vie aujourd’hui, ne pensez pas que vous pourriez l’être demain. Le risque de l’imminence de votre mort est sous vos pieds.

Un jour maître Dōgen a expliqué :

Vous le savez : celui qui naît dans une certaine famille et entre dans la voie de celle-ci, doit d'abord s'appliquer aux affaires de ladite famille. C'est vraiment une erreur de s'appliquer à connaître ce qui ne serait pas sa voie ou ce qui ne serait pas son lot dans la vie.

         Aujourd'hui, si vous entrez, en tant que renonçant au foyer, dans la famille du Bouddha et suivez la voie monastique, vous devez en apprendre toute l'activité qui lui est propre. En protéger la forme, c'est suivre l'enseignement d'un maître en abandonnant tout attachement à soi. Cela veut dire, avant tout, l'absence de convoitise. Si l'on souhaite ne pas avoir de convoitise, il faut d'abord se détacher complètement de son moi. Pour se détacher de son moi, il faut, d'abord et avant tout, appliquer toute son attention à contempler l'instabilité de l'existence.

         Nombreux sont les gens du commun qui veulent en leur tréfonds qu'on pense et qu'on dise du bien d'eux. Et c'est bien pour cela que ça ne leur arrive pas. Vous ne progresserez que si vous suivez les paroles de votre maître en renonçant peu à peu à vos attachements à votre moi.

         Le fait de pratiquer ce que vous aimez tout en vous disant : « Je crois comprendre cette vérité, je suis d'accord avec cela, et pourtant je n'arrive pas à renoncer à telle ou telle chose », vous fait sombrer de plus en plus.

         La première discipline mentale pour un moine zen qui veut s'améliorer, c'est de pratiquer le recueillement « pur et nu » simplement assis. Cela n'a rien à voir avec le fait d'être sagace ou stupide, sage ou sot ; il suffit de se recueillir assis pour s'améliorer naturellement.

Lors d'un enseignement du soir, maître Dōgen nous a expliqué : 

Apprentis de l'Éveil, gardez à l'esprit qu'il vous faudra nécessairement mourir. Cette réalité est indiscutable, et pourtant on ne réfléchit pas à ce qu'elle veut dire. Cette vérité signifie qu'il faut passer son temps à faire ce qui a du sens, et ne pas le passer en vain à ce qui est inutile. Elle veut dire aussi qu'il faut pour cela toujours garder présent à l'esprit cette nécessité de ne pas laisser le temps passer en vain. Pour choisir le plus important dans ce qu'il faut faire à cet effet - mais aussi en toute chose - sachez que, hormis un comportement de bouddha patriarche, tout est vain.

Maître Dōgen a expliqué :

Maître Dai-e a dit : « Faites toujours l’apprentissage de l’Éveil comme si vous étiez obligé de rembourser une dette de mille ou dix mille piastres, sans en avoir le premier sou. Avec un tel état d’esprit, il vous sera facile d’appréhender l’Éveil. »

On lit dans le Shinjin-mei : « Arriver à l’Éveil n’est pas difficile. Il suffit de détester choisir. » Si vous vous débarrassez de l’état d’esprit de faire des choix, vous tomberez juste dans votre choix.

         Se débarrasser de l’état d’esprit porté à choisir, c’est se détacher de soi. À proprement parler, pour appréhender l’Éveil par vous-même, ne faites pas l’apprentissage de la Réalité de bouddha. Pratiquez la Réalité de bouddha uniquement pour la Réalité de bouddha. Même si vous apprenez mille sutras et dix mille commentaires, même si vous vous asseyez dans le recueillement au point de briser votre banquette, si vous n’avez pas cet état d’esprit, vous n’apprendrez pas, ni n’obtiendrez l’Éveil des bouddhas patriarches. Vous ne tomberez juste dans vos choix qu’à partir du moment où vous n’aurez plus vos vues anciennes. Cela parce que vous vous serez dépouillé complètement de l’idée que vous vous faites de vous, et que vous aurez suivi les autres dans la Réalité de bouddha.

Zuimonki (traduction de Maître Kengan Robert)

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« L'imagination travaille continuellement à boucher toutes les fissures par où passerait
la grâce
. »

 

Simone Weil, La pesanteur et la grâce

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Point de départ et point d'arrivée, origine, finalité et méthode de notre école, est le zazen vêtu du kesa. Ça c'est le scoop, la révélation, la modernité. 

Deshimaru Roshi, à la lumière de l'enseignement et de la personnalité de Sawaki Roshi, l'a affirmé en Europe. Seul Sawaki Roshi, avec sa rugueuse franchise, a su dire que s'assoir avec fermeté, la tête rasée, vêtu du kesa, est la dimension la plus haute, la plus noble et majestueuse de l'être humain. 

F. Taiten Guareschi Roshi, La voix qui écoute

 

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J'avoue que j'ai vécu

Je veux vivre dans un monde où les êtres seront seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédé par une règle, par un mot, par une étiquette…

Je veux que l’immense majorité, la seule majorité : tout le monde puisse parler, lire, écouter, s’épanouir…

Je n’ai jamais compris la lutte autrement que comme un moyen d’en finir avec la lutte.

Je n’ai jamais compris la rigueur autrement que comme moyen d’en finir avec la rigueur…

J’ai pris un chemin car je crois que ce chemin nous conduit tous à cette aménité permanente, je combat pour cette bonté générale, multipliée, inépuisable…

Il me reste malgré tout une foi absolue dans le destin de l’homme, la conviction chaque jour plus consciente, que nous approchons de la grande Tendresse…

En cet instant critique, en ce clignotement d’agonie, nous savons que la lumière définitive entrera dans les yeux entrouverts.

Nous nous comprendrons tous. Nous progresserons ensemble. Et cet espoir est irrévocable.

J’avoue que j’ai vécu, Pablo Neruda, 1904-1973

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Menju

 

« Si un disciple ne voit pas en son Maître toutes les générations précédentes de Maîtres, on ne peut pas dire qu'il soit un disciple. Si un Maître ne voit pas en son disciple toutes les générations ultérieures de disciples, on ne peut pas dire qu'il soit un Maître. »

Chapitre « Menju » du Shōbōgenzō de Maître Dōgen (traduction de Maître Dokusho Villalba)

 

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« La nouvelle richesse » de Maître Tōzan Ryōkai

Le souverain de l'Antiquité avait fait du tao sa norme.

Il gouvernait le peuple au moyen de rites et ployait son échine de dragon.

Lorsque, de part en part, il traversait la place du marché,

En tout lieu florissait la culture, et son auguste dynastie était célébrée.

Pourquoi donc vous lavez-vous le visage et vous maquillez-vous ?

Le chant du coucou nous rappelle à l'urgence de notre demeure.

Bien que des multitudes de fleurs se soient fanées,

Son chant ne s'est pas encore apaisé.

Au loin, parmi les pics enchevêtrés et dans les lieux profonds et retirés,

Son appel retentit toujours.

Une fleur qui s'épanouit sur un arbre mort,

Une source qui jaillit de l'éternité.
Chevaucher un éléphant de jade et pourchasser la licorne.
Là, dissimulée parmi les innombrables montagnes,

Une lune blanche, un vent froid aux approches de l'aube.

Les êtres ordinaires et les bouddhas ne commercent pas ensemble.

Que les montagnes soient naturellement hautes,

Que les eaux soient naturellement profondes,

Ce n'est que cela que peut exprimer

L'infinité des distinctions et des différences.
Quand les marmottes crient, les fleurs s'épanouissent.
Le chant du printemps fait fleurir toutes les fleurs.
Lorsque l'esprit qui cherche Bouddha apparaît, vient le temps du « remords ».
Dans la perspective non entravée du kalpa de l'inutile (vide),

Lorsque plus rien n'est perçu,

Pourquoi allez-vous au sud à la recherche des cinquante-trois ?

Note : Au Japon, le Tokaido, mythique et ancienne « Route de la mer de l'Est », longue d'environ 500km, relie Tokyo à Kyoto en exécutant cinquante-trois relais (sorte de pèlerinage).

 

La bonne nouvelle c'est que « Même si l'âne n'est pas encore passé, le cheval arrive déjà » ! (phrase de Maître Dōgen)

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