L’Octuple sentier au Ryuginji
ou
De plus en plus rien
Qu’est-ce que le Ryuginji ?
« Ryugin » signifie « grondement du dragon », c’est un chapitre du Shōbōgenzo de Maître Dōgen, fondateur de notre école. Le vent dans les pins, le son du ruissellement d’une rivière asséchée, tout cela est Ryugin. « Ji » désigne le temple. Le Ryuginji est donc le nom que mon Maître Michel Jigen a choisi pour baptiser notre lieu de pratique, notre dojo. En réalité, « maison-temple » est plus approprié : nous avons investi une maison de ville comme un temple, au cœur de la cité, et nous y pratiquons la Voie du Bouddha de façon traditionnelle.
Nous pouvons constater que dans notre vie à la maison-temple, la dimension absolue et la dimension relative s’interpénètrent. La relation Maître à disciple et la vie familiale se côtoient ; le dojo s’est transformé en chaudron, et en même temps nous proposons une méditation laïque à l’hôpital et à l’université ; les moments de détente suivent ceux de pratique intensive…
Tous ces aspects constituent notre histoire, notre art de vivre.
Notre art de vivre consiste à suivre le Dharma du Bouddha, la Loi des Éveillés. Le Bouddha de ce monde, lorsqu’il énonça les Quatre Nobles Vérités, prescrivit l’Octuple Sentier comme remède à la maladie des êtres, dukkha (l’insatisfaction, la souffrance). Autrement dit, la Voie qui mène à la cessation de dukkha est constituée de :
1) La Vue ou la Compréhension juste
2) La Pensée juste
3) La Parole juste
4) L’Action juste
5) Les Moyens d’existence justes
6) L’Effort juste
7) L’Attention juste
8) La Concentration juste
Ce Sentier aux huit embranchements peut être vu comme autant de facettes de l’abandon du moi, de l’abandon de la souffrance. L'Octuple Sentier n’est pas intellectuel, ni un enseignement érudit, car je constate qu’avec la pratique du Zen, il se réalise dans la vie quotidienne à la maison-temple.
Ce texte (qui sera publié au fur et à mesure sur le site) est simplement un témoignage de ma vie à Ryuginji, et une façon pour moi, en l’écrivant, de clarifier l’enseignement que je reçois de mon Maître, lui-même l’ayant reçu de notre lignée spirituelle, qui remonte à la nuit des temps, avant même le Big bang !
Ces derniers temps, Jigen a coutume de dire qu’au dojo, il se passe « de plus en plus rien ». Un rien qu’on cultive intimement, un rien de spécial, un retour progressif à la condition normale de l’être.
Maxime Tenryu le 27 janvier 2023
La Vue juste
Pour s’engager dans la Voie qui mène à la cessation de dukkha, j’ai choisi de m’entourer d’un Maître qui lui-même a une juste vision du chemin, de la façon de l’arpenter, de la direction à prendre. Son postulat de base est simple : nous ne sommes que de passage, et dans ce court laps de temps qui nous est imparti, mettons toute notre énergie à nous éveiller ! Ainsi, l’existence devient véritablement heureuse, elle a un sens puisqu’on sait ce qu’on y fait. Vivre auprès de mon Maître éclaire la vie quotidienne à travers la sagesse transcendante qui le traverse. Lors de ses enseignements, en kusen (pendant le zazen) ou de façon informelle (aux repas ou au café), les événements que nous vivons au quotidien sont toujours vus et commentés à travers l’Œil de Bouddha. Tout y passe : les questions de santé, d’argent, d’éducation, d'actualité dans le monde…
Ce que je comprends de la Vue juste, c’est avoir une vision directe des situations, sans être encombré par soi-même. Voir les différents aspects des choses, qui ne font qu'un. Dans le film Matrix, Morpheus propose à Neo la pilule rouge ou la pilule bleue. La pilule rouge étant celle qui permet de voir la réalité telle qu'elle est, et la bleue de retourner dans une vie tranquille, mais creuse et banale. L'art du Maître zen va être de proposer sa pilule rouge, sachant que le disciple devra lui-même l'avaler, l'assimiler, la métaboliser, la digérer... Cette vision juste se transmet.
« Menju » est un chapitre du Shōbōgenzō : « la transmission face à face ». Menju désigne également quand le Maître et le disciple se saluent les mains jointes, les yeux dans les yeux.
Il se trouve que lorsqu'il était jeune, mon Maître a reçu un coup de ballon et voilà la rétine explosée. Il a quasiment perdu l'usage d'un œil. L'un voit le visible, l'autre l'invisible. Le menju est un des nombreux aspects chamaniques de notre pratique, où la transmission se fait à la frontière des deux mondes. D'ailleurs, le Zen parle d'une « transmission spéciale en dehors des écritures »...
Qu'est-ce qui est si spécial ?
La conscience hishiryo est le secret du Bouddha. Son secret le mieux gardé car on ne peut en faire l'expérience que par soi-même. Hishiryo : qui n'est pas du domaine de la pensée. Écarter la pensée. Pour Dōgen, « lorsque vous comprendrez que penser ne sert à rien, immanquablement vous trouverez la Voie. »
De quelle pensée parle-t-on ? De la pensée analytique, de la pensée automatique, de la pensée compulsive, dont tous les êtres humains sont affublés. Hishiryo ne s'agit pas d'un encéphalogramme plat, dit Jigen. De la même façon qu'on respire, que le cœur bat sans qu'on ait besoin d'y réfléchir, le cerveau sécrète des pensées en permanence. L'exercice délicat du zazen est de ni vouloir les chasser quand elles nous dérangent, ni les alimenter quand elles nous plaisent... ce qu'on fait tous de façon inconsciente. On devient alors libre, parce qu'on peut penser quand il est nécessaire de penser, et ne pas penser quand ça n'est pas nécessaire.
Il y a donc une intelligence. Le Zen n'empêche pas de réfléchir. On l’appelle intelligence du cœur, ou intelligence claire, car elle n’a pas comme fondement le mental, mais l’espace vide. Comment accéder à cette pensée ? La justesse est difficile à trouver car la pensée compulsive est cette addiction fondamentale qui nous fait transmigrer depuis des kalpas. Cette pensée ne devient juste que dans l'effacement du moi. On dit que la pensée devient alors un outil, comme les mains, et en tant que moine, je m'efforce de me tirer vers la pensée d'éveil. Ne plus être accro aux pensées, aux rêveries, au raisonnable, pour que la pensée puisse être à sa juste place, celui d’organiser sa vie et fonctionner dans le monde. Notre pratique comporte de nombreuses portes vers une réflexion qui permet de se libérer du mental. Il y a par exemple le sutra des repas qu'on chante le matin, ou, le soir, les Quatre Vœux du Bodhisattva :
Aussi nombreux que soient les êtres sensibles, je fais vœu de les aider à se libérer tous
Aussi nombreuses que soient les illusions, je fais vœu de les vaincre toutes
Aussi nombreux que soient les dharmas, je fais vœu de les acquérir tous
Aussi parfaite que soit la Voie du Bouddha, je fais vœu de la réaliser
La Parole juste
Le matin, 6h30 : zazen. Jusqu'à 8 heures. Vient la cérémonie, jusqu'à 8h30. Ensuite la gen maï, jusqu'à 9h. Quelqu'un lit un passage du Zuimonki de Dōgen. Enfin, le Maître pose la question qui tue : « Y a-t-il des questions ? ». Silence, personne n'a de question. Il insiste, nous demandant à chacun : « Pas de question Myōshin ? Pas de question Myōgen ? Pas de question Myōren ? Pas de question Tenryu ? ». Pas de question. « Alors, s'il n'y a pas de question, on se change et on boit le café ! »
On enlève nos kesa, on s'habille en tenue civile et on se retrouve de nouveau autour d'un thé, café, biscuits... Une autre atmosphère se crée, moins formelle, et pourtant, c'est généralement un moment de grands enseignements. Jigen excelle dans cet exercice, où rien n'est écrit à l'avance. Chacun peut partager, échanger, poser des questions, et le Maître a alors l'occasion d'y répondre.
A ce moment-là la plupart du temps je ne parle pas. Rien ne vient. Je n'ose pas, ou ça ne sort pas. Une inertie ou une timidité freine toute tentative de prise de parole. Et pourtant, « il n'y a jamais eu de cas depuis l'ancien temps où quelqu'un ne disant rien fut considéré comme une personne réalisée », affirme Dōgen dans le Shinfukatoku. Pour se réaliser spirituellement, il faut sortir de son silence apparent et prendre le risque de parler. Risque dans le sens où la parole n'est plus une parole ordinaire, mais une parole cosmique : Dotoku. Une parole conforme à la réalité de l'instant, venant du Soi et non plus du moi.
Puis vers 10 heures, Jigen se lève, nous souhaite une bonne journée et se retire dans ses appartements. Blablabla, pour mes condisciples et moi, les discussions "mondaines" reviennent et vont bon train !
La Parole juste est un koan pour moi.
Car chanter les sutras demande aussi l’abandon du moi.
A travers les vibrations du chant, la récitation quotidienne des sutras est une façon de développer la Parole juste. Si elle ne tend pas vers ça, la récitation devient un folklore, une messe, quelque chose qui n’a plus rien à voir avec l’ordre cosmique. Ma volonté de bien faire est un obstacle car elle signale encore la présence du moi qui s’applique, plutôt que de se lâcher et simplement chanter.
« L’homme de bois se met à chanter, la femme de pierre se lève et danse. » dit l’Hokyo Zanmai. L’homme de bois et la femme de pierre sont les êtres décapés de leur propre ego. Ils se mettent à chanter et les dieux sont invoqués, la Terre tremble… C’est le fruit d’une longue pratique où la souffrance a pu être mise à nue devant Dieu.
Mon Maître a été ino durant des années au temple de la Gendronnière. Cette expérience forte colore notre pratique, où le chant des sutras est l’opportunité de s’extraire de soi-même, de sa mouise, et de s’harmoniser ensemble avec le cosmos.
Le ino d’un temple est le responsable des cérémonies, mais également de l’harmonie entre les moines et les nonnes. Dans la Sangha, il est important de cultiver Aigo : les paroles d'amour. Une parole douce et aimante les uns envers les autres. Aigo ne veut pas dire tomber dans la miellerie et l’hypocrisie, car ça n’empêche pas de se dire les choses quand il faut se les dire. C’est pourquoi je ne crois pas aux méthodes qui défendent une communication bienveillante, ou non-violente, car la délicatesse de Aigo est un fruit de la pratique qu’on ne peut créer par sa volonté propre. La vie quotidienne au sein de la Sangha est toujours une opportunité de s’observer soi-même dans ses réactions, chacun étant un reflet les uns pour les autres.
L’Action juste
Un terme japonais du Zen est zanshin : l’esprit du geste. Zanshin veut dire être conscient de son travail, présent à ce qu’on fait. Bien souvent, le corps sait faire, mais l’esprit est parti ailleurs. Le Zen accorde une importance au travail manuel, appelé samu. Mon samu quotidien est la cuisine, la préparation des repas du matin et du midi. Faire à manger n’est pas une fin en soi, mais c’est de pouvoir toucher le mystère à travers la cuisine, ou toute autre activité. A ce sujet, Dōgen est très clair dans Tenzo Kyokun : « La feuille de légume que vous tenez dans votre main devient le corps sacré de l’ultime réalité et ce corps que vous tenez avec respect redevient simple légume. L’exercice de ce merveilleux pouvoir de transformation est le propre de l’activité de bouddha dont profitent tous les êtres. »
Et pour toucher cette dimension, c’est encore une fois une question de constance, de répétition, mais aussi un grand amour, un abandon de soi. Beaucoup d’ingrédients entrent en ligne de compte, dont on ne connaît pas la recette à l’avance.
A mon bien modeste niveau, je peux constater qu’à force, les mains deviennent plus précises. Une certaine unité dans l’action se fait ressentir. Mais ce pouvoir qu’on acquiert par la pratique ne doit pas être utilisé pour soi, sinon il est souillé. Le verset Senjō no ge, qu’on chante au moment de se laver les mains, dit bien :
En se lavant les mains avec de l’eau,
Ensemble avec tous les êtres, puissions-nous
Acquérir des mains extrêmement subtiles,
Pour recevoir et tenir le dharma du Bouddha
Toute cette rééducation du Zen permet de se recentrer. Travailler et agir en conscience change inconsciemment notre karma. « Créer », « action » ont la même étymologie sanskrite que « karma ».
Au Ryuginji on soigne notre karma. Régulièrement des pratiquants reçoivent les préceptes et deviennent bodhisattva. A chaque fois, c’est l’assemblée entière qui réaffirme sa détermination à suivre les préceptes : « Oui ! Oui ! Oui ! » Oui je veux changer, oui je veux devenir maître de mon existence ! Le symbole du Dharma est une roue à huit embranchements, celui de l’Octuple sentier. Plus exactement un gouvernail, que l’on apprend à prendre en main, afin de ne plus être ballotté comme un bouchon de liège dans l’océan.
A chaque pleine lune et nouvelle lune, nous célébrons la Ryaku Fusatsu. La Ryaku Fusatsu est une antique cérémonie antérieure au Bouddha, pour se repentir ensemble de son mauvais karma passé. Dōgen explique que le repentir sincère atténue les effets du karma. C’est pour cela que tous les soirs, nous chantons le Sangemon, le verset du repentir.
Quiconque vient au Ryuginji sera impressionné par la Roue de la Vie peinte par la nonne Myōgen qui trône dans le réfectoire. Cette peinture géante permet de visualiser tout le processus karmique décrit par le Bouddha. En la voyant tous les jours, je m’en imprègne, elle m’enseigne. Parfois lors de moments de doute, des visions de certaines parties de la Roue m’apparaissent et lèvent la confusion.
Les Moyens d’existence justes
Nous vivons simplement, sans manquer de quoi que ce soit. On constate qu’avec le temps, nos besoins diminuent. Naturellement, sans effort, l’envie de consommer décroît.
« Mais comment vous faites pour vivre ?! »
Une question qu’on nous pose souvent, puisque nous ne travaillons pas.
La tradition, depuis l’époque du Bouddha, veut que les moines vivent de l’aumône que donnent les pratiquants laïcs. Les moines peuvent ainsi pratiquer sans avoir à travailler et les laïcs peuvent mettre en pratique la vertu première, celle du don (dana, fuse).
Pratiquer l’aumône au XXIe siècle en France, pays laïque de tradition chrétienne, ne correspond pas vraiment à la réalité de la société moderne. Ce qui est très intéressant d’observer est que les causes et conditions de notre vie à Poitiers font qu’on retrouve cette interdépendance dans notre Sangha entre les laïcs et les moines. La forme n’est pas celle de la mendicité rituelle, mais l’esprit est le même. Le dojo est une association et les pratiquants en sont membres, paient leur adhésion et cotisation, ce qui permet de faire vivre la communauté. Les moines et nonnes peuvent plonger dans le Dharma sans préoccupation matérielle, et ainsi accompagner dans la pratique les laïcs et bodhisattvas.
Créer une communauté monastique aujourd’hui est un vrai tour de force. Comme je l’expliquais en introduction, nous parlons plus de maison-temple que de temple pour désigner notre dojo. Pour des raisons administratives, nous ne sommes pas reconnus comme temple par l’église Zen Sōtō japonaise, ni même par l’AZI (Association Zen Internationale) à laquelle nous appartenons ! Mais les faits sont là, puisque Maître et disciples vivent sur place, pratiquent toute l’année la vie d’un monastère zen. L’Hōkyō zanmai, chanté tous les deux jours se conclut par :
« Cachez votre pratique, agissez discrètement, apparaissez comme un fou ou bien un idiot.
Juste continuer ainsi est appelé être un maître parmi les maîtres. »
Ce qui nous fait vivre est la pratique et nous vivons par la pratique. Nous pouvons faire l’expérience vivante que le Ciel pourvoit à tout. Pour cela, il faut faire fit de la peur de manquer, de se croire en insécurité, et voir comment la magie opère !
L’Effort juste
Qu’est-ce que l’effort ?
Le Robert le définit ainsi : « Activité d'un être conscient qui emploie ses forces pour vaincre une résistance. »
L’énergie est un don du cosmos. Tout le monde en a, mais pour quoi faire ? Certains en veulent plus, en faisant du sport ou diverses méthodes énergétiques. A la fin, quelle que soit la coloration, le but est toujours de nourrir le moi.
Mon Maître m’a transmis le goût de l’effort. Avant d’être moine, dans le monde social, je ne voyais pas l’intérêt de se donner complètement à quoi que ce soit. Se donner à corps perdu à l’Éveil, en revanche, a un sens très profond. La cible est de vaincre la résistance qu’est l’ego, soi-même.
La posture de zazen est une des transmissions majeure du Zen. Évidemment, en ouvrant un livre sur le Zen ou en faisant une initiation dans un dojo, pour peu qu’on soit souple, en cinq minutes on peut prendre la posture. Mais zazen n’est pas une technique de bien-être. Pour pratiquer le Dharma, pour se réaligner avec le système cosmique, l’activité doit être forte. « Zenki » : totale activité. Sinon, si cette cible n’est pas clairement déterminée, on risque de faire un zazen qui au contraire renforce l’ego.
Savoir où l’on met son énergie est un grand soulagement. Mon bon karma fait que je peux mettre mon énergie à zazen, pour pouvoir pratiquer le zazen dans sa véritable dimension. Cela implique déjà de se donner à la posture, malgré les douleurs, malgré le sommeil, malgré les pensées récurrentes… Et surtout une régularité, une constance dans la pratique.
L’aspect physique de la pratique a été un cap important à franchir pour moi. Sans les encouragements de mon Maître, jamais je n’aurais pu faire les prosternations sans me relever avec les mains. Ni m’asseoir longtemps en seiza, et encore moins prendre la posture complète du lotus !
Petit à petit le corps s’habitue, la posture devient plus confortable, alors des démons viennent vous visiter comme l’ennui, le doute, voire le dégoût ! Un trop-plein de Dharma m’a déjà donné la nausée. Car on se donne pendant le zazen, mais ce n’est que le début de la journée, ensuite il y a le chant des cérémonies, le samu… Et puis la vie quotidienne, avec les autres qui nous gonflent… Il est dit qu’il faut arriver au point où l’on est saturé de Dharma. Dans ces moments de tension peut survenir la détente, car on transfert nos forces personnelles à la force qui nous dépasse, celle du Dharma.
Cette détente se gagne. C’est un fruit de la pratique, que je commence à goûter. Pour l’instant, le goût est encore très subtil, mais j’ai l’intuition que c’est la bonne direction. Il me semble que pour persévérer dans cet Effort juste, la foi est indispensable sinon « on enflamme le ciel avec une torche » : on se fatigue pour rien. La foi permet, même si on n’en a pas encore vraiment goûté le fruit.
Maître Rinzai parle de « tenir bon et lâcher-prise » : comment tenir et lâcher en même temps ?
De temps en temps, Jigen dit : pas de zazen ce soir. On prend des pizzas !
L’Attention juste
Le Zen m’éduque par une véritable éducation : celle de l’attention. Attentif à ce que l’on fait, dans chacun de ses gestes. Pas une éducation intellectuelle.
Les cérémonies et les instruments du Zen sont de véritables exercices à l’Attention juste. Tous les rituels sont codifiés dans le moindre détail pour permettre de s’oublier dans l’instant. Pour ce faire, il y a une phase d’apprentissage où l’on passe par le mental pour se rappeler du déroulé de la cérémonie, phase qui passe assez vite grâce à la répétition quotidienne. Le son du bois, d’une cloche, du métal, du mokugyo, et j’en passe, sont le miroir de notre état intérieur. La technique est très simple, il « suffit » de sonner un coup, la difficulté majeure étant de se fondre dans l’instant.
Les instruments sont vivants. A certains moments, je peux me sentir à l’aise avec le métal et pas avec le mokugyo, et puis ça s’inverse, et puis je n’y pense plus. Bref c’est toujours changeant, et je ne peux pas m’installer dans un confort, rien n’est jamais acquis.
Pour parler de l'Attention juste, citons aussi le repas du matin, la gen maï, que l'on mange dans les oryoki. Oryoki désigne la juste mesure. Ils sont composés de cinq bols en bois laqué de taille décroissante, enveloppés d’un grand tissu. Le plus gros bol représente la tête du Bouddha, on y mange le riz. A côté, une cuillère, des baguettes et un setsu. Le setsu est un ustensile ingénieux, qui permet de faire la vaisselle à la fin du repas. C’est une languette en bois avec une gaze au bout qu’on change régulièrement, qui a le rôle d’éponge.
Savoir se servir des oryoki est tout un art, où chaque geste a un sens précis. Par exemple, on plie les serviettes d’une certaine façon, on évite de faire du bruit avec les couverts, notons aussi l’élégance dans la manière de tenir le grand bol, avec un mudra particulier… Tous ces détails sont là pour nous ramener ici et maintenant.
De mon expérience, la gen maï prise dans les bols est un repas hautement spirituel, où l’on est nourris tant par cette nourriture physique, que par les chants et cette vigilance de tous les instants.
Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse des sons ou des bols, l’essentiel n’est pas de se focaliser sur des détails mais d’être tous ensemble. Le Maître est comme un chef d’orchestre, il donne le rythme du rituel. Parfois c’est rapide, parfois c’est lent, il n’y a qu’à suivre. Le rythme est important, car on oublie son rythme personnel pour s’en remettre à celui du Bouddha.
A force d’être pleinement attentif au Maître on peut se fondre en lui et actualiser la Voie, comme en témoignent les exemples de notre tradition.
Parfois ça marche, comme il y a eu cette après-midi, où j’étais en cuisine en train de préparer le repas du lendemain. Soudain, j’ai eu l’intuition qu’il fallait faire des pop-corn ! Je les prépare, ça « pop ». Je les dépose dans un saladier dans le Bouddha-Hall, près de la chambre de Jigen. Je l’entends sortir, les prendre et revenir dans sa chambre. Après coup, il m’a raconté qu’à ce moment-là précis, c’est exactement ce dont il avait envie !
Et parfois ça marche moins… ! Un matin d’été, nous faisions une retraite dans un gîte à la campagne. Je venais de finaliser tous les préparatifs du dîner à venir. Il faisait très chaud ce jour-là, et nous étions plusieurs à fatiguer de la canicule. Jigen vient me voir et me demande, très enthousiaste : « Tu ferais pas des pâtes à la tomate ce soir ? Ca redonnerait de l’énergie à tout le monde ! » Puisque j’avais déjà achevé les préparatifs je lui dis en levant les yeux au ciel : « des pâtes ? Pfff. Y’a un gratin de courgettes ce soir, c’est très bien pour l’énergie. » J’ai coupé court à la discussion, mais j’ai bien senti que quelque chose n’allait pas. Plus tard, durant zazen, le leitmotiv du kusen était : Attention. Attention. Attention. Attention à ne pas être arrogant, attention à ne pas se fermer, attention à rester libre.
La Concentration juste
Nikkyô Niwano, dans le livre « Un bouddhisme pour notre temps », écrit à propos de la Concentration juste qu’il s’agit de « se décider à croire toujours dans les enseignements du Bouddha et ne pas être troublé par quelque changement de circonstances. Ceci nous apprend à pratiquer l’enseignement correct du Bouddha. »
Plus direct, Maître Dōgen dit « Vous dirigeant vers émancipation, ne recherchez pas apparition » dans le chapitre Yuibutsu Yobutsu. Cela signifie : vous dirigeant vers l’éveil, ne recherchez pas les mirages, les « métamorphoses magiques ». Restez concentrés en vous-même, ne regardez pas à l’extérieur.
C’est la révolution intérieure dont parlent tous les sages depuis la nuit des temps. La Voie du Zen est une voie vivante qui permet ce retour à l’origine.
Et le Ryuginji est le lieu idéal pour exercer la Concentration juste.
Joshin, ou quand je me suis fait ordonner bodhisattva
Dans le dojo, je me sens à ma place, même si c’est difficile : la posture intenable souvent, les pensées qui m’assaillent tout le temps, les émotions qui débordent.
Michel Jigen est là, qui veille. Les autres pratiquants aussi. Et puis l’encens qui se consume lentement, la paix et l’équilibre qui règnent dans le dojo.
Le jour de mon ordination, je suis partagée entre apaisement et terreur, joie et angoisse, détermination et doute. Si joyeuse d’être là, de ce pas franchi, si flippée d’être vue… N’est-ce pas juste une pensée, une vue de l’esprit ?
Une pensée et on s’éloigne de la réalité, dit Michel.
Alors, se laisser aller, pratiquer et être dans la voie.
Je suis si reconnaissante de constater cette énergie donnée par chacun-e lors de la cérémonie de mon ordination !
Tou-te-s sont là : Myoko, Myoren et Myogen, le tenzo, Seido et Myoshin, Yusen et Maria-Laura aux cloches, Dokan, So-e, Alexis et Fanette, Joseph et Hosei, Baika, Nimrod, et, pardon j’en oublie ! La sangha de Poitiers et Michel, vêtu du kesa de cérémonie, que je découvre quand il entre dans le dojo, magnifique…
Michel est devant moi, les pratiquants sur ma gauche ; je n’ose pas les regarder. Je suis ici et à côté, dépassée par mes émotions. Envie de pleurer et de rire à la fois. Pleurer sur ma vie à passer tant de temps à douter, à me demander où aller, seule ; rire, parce que c’est ce qu’on fait quand c’est trop dur, non ?
Je n’ai pas réussi à crier les « oui » que me demande le maître. J’aurais voulu les hurler ! Ma voix me fait défaut, le corps trahit l’esprit.
Joshin, Esprit pur, tel est mon nom de bodhisattva.
Je suis heureuse. Je me sens à ma place, soutenue par les autres. Je prends conscience à ce moment-là de la valeur de la sangha, de son caractère précieux, l’un des trois trésors, avec Bouddha et le Dharma.
Comme l’écrit Roland Yuno Rech, l’interdépendance dans le dojo entre les différents pratiquants permet un échange entre l’énergie que l’on donne et celle que l’on reçoit, un soutien mutuel.
Joshin, le 18 novembre 2022
Rencontre silencieuse
Depuis trois ans, nous aménageons patiemment la maison-temple qui est notre lieu de pratique.
Caillou après caillou, brin d’herbe après brin d’herbe, le jardin devient enchanteur et un contact particulier se tisse avec la nature. Les arbres et les animaux eux-mêmes semblent répondre à l’appel de la voie.
Assis sur le meuble à chaussures, le chat du temple fait parfois zazen en même temps que nous.
Et ce samedi matin, surprise, alors que nous commençons à chanter le Maka Hannya Haramitta Shingyo, une farandole d’oiseaux, un de chaque espèce – un pigeon ramier, un merle, une tourterelle… - entame une ronde mystérieuse dans le jardin, côté « montagne ».
Le sutra terminé, les oiseaux envolés, une parenthèse magique qui nous connecte quelques instants avec le monde invisible.
Myōren, le 1er mai 2022
Ryugin, la voix du ino
A la fin de l’été 2018, fraîchement ordonnée nonne, j’arrive à Poitiers avec toutes mes affaires, mon chat et beaucoup d’enthousiasme. Assez rapidement, un jour d’octobre, mon maître me demande à l’improviste d’être « ino » pour la cérémonie du matin.
Le zen est riche de nombreux textes anciens, sutras en sanskrit, poèmes en japonais, qui sont récités lors des cérémonies quotidiennes, et le ino est en quelque sorte le chanteur principal. C’est lui qui entonne les titres, invitant la sangha à se joindre au chant. Il récite aussi les ekos, dédicaces propres à chaque chant, car la pratique de zazen est dédiée aux maîtres du passé et à tous les êtres vivants.
La voix du ino n’a pas besoin d’être particulièrement forte, mais elle doit porter, les autres pratiquants doivent pouvoir la suivre. Au début pour moi c’est un mystère... Je ne suis pas une chanteuse, ma voix est fluette, souvent moquée par les autres et surtout beaucoup jugée par moi-même.
Je ne sais pas comment je fais pour arriver au bout de cette première cérémonie ! La cage thoracique est rétrécie, bloquée, la gorge comme obscurcie par un voile, le son peine à trouver des voies de sortie…
Mon maître Jigen me dit : « Concentre-toi sur les titres et les ekos. » Pour les chants à proprement parler, je me laisse guider par la sangha, et surtout je m’appuie beaucoup sur lui ; je me joins à son entrain, j’écoute sa respiration, je cale ma voix dans la sienne.
Les chants du zen sont monocordes, comme psalmodiés. Ce qu’on cherche ce n’est pas tellement une « belle » voix, mais plutôt laisser ces chants anciens, sacrés, nous pénétrer, nous travailler, et faire naître naturellement les vibrations qui leur sont propres. Comme une litanie qui exprime les profondeurs de l’être. Comme Ryugin, le chant du dragon, c’est le nom de notre lieu.
Ici nous chantons beaucoup, après chaque zazen. Les premières semaines de pratique en tant que ino semblent aspirer toute mon énergie. A l’issue d’une journée, je suis parfois épuisée. C’est l’égo qui s’épuise. Car les chants en donnent aussi, de l’énergie, et je sens qu’il y a là quelque chose à creuser. Comme je suis de nature persévérante, je continue de m’entraîner. Pendant les cérémonies, c’est une lutte intérieure permanente, avec l’idée que l’on ne m’entend pas et que je n’ai pas la capacité à porter l’ensemble. L’enfer du mental… Et en même temps, les blocages se défont, je commence à prendre plaisir à entendre ma voix, à sentir la colonne d’air et ses vibrations à l’intérieur de ma tête et dans mon corps.
Le chant devient rapidement un indicateur de mon état intérieur, et je comprends que la puissance vocale vient d’abord d’un bon alignement, de l’ouverture et de la stabilité.
Mon maître Jigen me transmets la voie du ino, non pas à travers des techniques, mais à la lumière de zazen. Ses indications m’encouragent, et mon handicap de départ se révèle un atout : je suis obligée d’aller puiser ailleurs que dans mes propres forces, je dois m’en remettre à quelque chose de plus vaste, au-delà de moi.
Jigen dit souvent que l’on fait cinquante pour cent du chemin, on s’exerce, on fait des efforts, et que les cinquante pour cent restants, c’est Dieu qui les fait. Dieu, le cosmos, l’univers… On peut se laisser trouver par quelque chose de plus grand que soi, une sorte de grâce.
Deux ou trois fois par an, nous nous rendons pour des retraites au Temple de la Gendronnière, le temple mère du zen en Europe. Chaque fois Jigen me propose comme ino. Il l’a fait dès le début, en dépit de ma minuscule expérience. Il y a une centaine de personnes dans le grand dojo, et malgré le stress de la situation, quelque chose de magique se produit : le lieu est porteur, la voix sort, et la cérémonie se déroule presque d’elle-même. C’est un grand enseignement. Les choses ne sont pas comme on le croit ; je découvre avec étonnement qu’un regain d’énergie est possible au cours d’une longue cérémonie, ou encore que le souffle est bien plus long et profond qu’on ne peut l’imaginer avec les limites du mental.
Jigen n’est jamais loin, il me soutient et j’ai beaucoup de gratitude pour la confiance qu’il m’accorde.
Deux ans et demi après mon arrivée, le chat est mort depuis longtemps et quelques illusions sont tombées. Je ne suis pas une chanteuse mais à force de pratique quotidienne, les jugements commencent à se libérer, j’apprends à aimer ma voix et à m’aimer moi-même.
Si je regarde le chemin parcouru sur la voie du ino, la progression est phénoménale. Je reçois beaucoup de retours positifs, mon chant est plus puissant et s’approfondit de jour en jour.
Depuis quelques mois, je suis le ino officiel de ce lieu, mais le rôle du ino est en réalité bien plus large ; dans un temple, c’est l’un des principaux responsables. Il est le responsable des cérémonies, des moines, et de leur éducation dans le chant. Il peut alors désigner des kokyos à qui il délègue le chant pendant les cérémonies.
Le ino est en général un moine avancé, mais dans notre petit lieu de pratique, personne n’est très avancé, alors il faut bien commencer quelque part !
Claire Myōren, le 27 janvier 2021
Témoignage d'une nonne
Dès que j'entre dans le dojo et que je m'assois, tout s'apaise en moi, mes peines et mes chagrins s'estompent peu à peu...
J'apprécie de vivre ici et maintenant, j'apprécie les kusen de mon Maître qui me permettent d'avancer pas à pas sur la Voie que j'ai choisie il y a quelques années.
Mauricette Myoshin Dubois
Septembre 2020
Voir les traces des oiseaux dans le ciel.
Une intuition…
Aujourd’hui, la porte s’ouvre et je fais un pas en avant.
J’ai rencontré Michel il y a 6 ans.
J’en ai fait, des allers-retour entre « chez moi » et Poitiers, 3 jours ici, 6 jours là-bas, une semaine ici, une semaine là-bas.
Là, maintenant, je suis lasse de ce mouvement.
Je n’ai plus à choisir ici ou là-bas car une décision s’impose à moi. Je viens vivre ici à Poitiers pour percer le fond du sceau de laque et voir les traces des oiseaux dans le ciel.
Ma mère en mourant récemment m’aide à prendre cette décision en me laissant un peu d’argent.
Alors j’arrête de travailler, je rends les clefs de mon logement et je viens m’asseoir ici à Poitiers avec ma Sangha.
J’ai un peu peur bien sûr de quitter mon univers connu, confortable, mon boulot dans l’institution que je fréquente depuis 20 ans et qui m’est si familière ; mes amis, mes attachements.
Mais je sens au plus profond de moi-même que ma place est ici à Ryuginji auprès de mon Maître.
Le temps passe si vite et je n’ai plus de temps à perdre.
Je n’en peux plus de me raconter des histoires, de m’accrocher à mes illusions. Il est grand temps de tout mettre en œuvre pour me libérer de mon petit tyran intérieur, cet égo qui me met la tête sens dessus dessous et qui me donne la nausée.
Tant que l’on n’est pas l’océan, on passe sa vie à avoir le mal de mer.
Je suis plongée dans l’océan tempétueux, ballottée par les vagues.
Ici, je sais intuitivement avec mon cœur que la tempête va s’éloigner et que l’océan va s’apaiser.
Alors oui, je prends la décision de m’installer ici à Poitiers, de m’asseoir sur mon zafu et de ne plus bouger.
Lucie Myogen, le 15 septembre 2020
Tenzo
Le tenzo est le cuisinier du temple zen. Au dojo de Poitiers, il s’occupe des repas du matin (gen maï) et du midi. Septembre dernier, peu avant le déménagement à la Chatonnerie, mon Maître Jigen m’a demandé si je voulais bien prendre la fonction de tenzo. J’ai accepté mais ça m’a fait peur puisque je n’avais jamais vraiment cuisiné !
À ce moment-là, j’étais très intéressé par la macrobiotique ; cette recherche alchimique et les ponts que je pouvais faire avec la pratique me fascinaient. Ça a été un point de départ, qui m’a permis de découvrir que le tenzo est une voie dans la Voie, bien plus large qu’une méthode donnée. Une pratique pour se mettre face à soi-même, face à ses propres difficultés. C’est comme un sport de glisse, où on surfe entre les phénomènes, petit à petit, on se fluidifie comme l’eau. On doit lâcher le contrôle : arrêter de suivre ses propres goûts, préférences, accepter les imprévus, comprendre qu’en cuisine on perd du temps si on pense…
En ce moment, je vis un enseignement fort qui est d’apprendre à utiliser le mental à bon escient. Pour s’organiser en cuisine, c’est indispensable de réfléchir, de planifier les menus, le timing, calculer les conversions, les quantités, etc. Ça peut vite devenir prise de tête, mais comme à côté, on pratique zazen, je peux le voir et petit à petit me détendre dedans. Sinon, si j’y pense trop, je doute, je perds du temps en cuisinant, moins précis, moins efficace. J’observe qu’il y a des jours où la même situation est tout de suite source de stress, et des jours pas.
La cuisine me permet de me rapprocher subtilement de la nature, par le changement des saisons. On peut comprendre de façon intime la loi de l’impermanence, qu’on ne peut pas chasser une saison ou la faire perdurer. À chaque saison sa cuisine, ses légumes, ses qualités propres. Aussi, un contact se crée avec l’eau, le feu, le métal, le bois, c’est une manière de se relier à des choses simples et essentielles. La cuisine, un reflet de l’interdépendance des fonctions dans le temple : en amont l’intendance, en aval le service. Et parfois on a la joie de manger des produits du potager !
Je suis un jeune tenzo, peu expérimenté. Je peux dire que le plus difficile est de véritablement rentrer dans la pratique du tenzo. C’est-à-dire ne pas rester en surface, ne pas faire à manger avec un esprit ordinaire. Plus on s’oublie dans l’instant, plus la nourriture vibre de gratitude, d’attention, de respect, et non pas de miasmes, de peur, de négligence ou tout ce qui pourrait me passer à l’esprit. C’est pour ça que le rituel autour des repas est très important. Le rituel m’aide à prendre conscience du caractère sacré de la vie. Une prise de conscience qui se fait petit à petit, car les démons de la colère, de l’avidité, font prendre tout pour un dû. Alors tout doucement mais sûrement, je peux m’ouvrir...
Maxime Ekyo Tenryu Prévost, le 5 août 2020


